Elle

Bon, je pensais me coucher tôt et écrire quelque chose de rapide... mais visiblement, ma grandiloquence a encore parlé

Citation :

"C'est elle."

La voix était à peine audible, déformée par le liquide visqueux et bleuté qui emplissait la capsule. Une douce mélodie mécanique semblait appeler l'être endormi à elle, tel le chant de quelque animal exotique qui réveille paisiblement le voyageur au point du jour. Mais il n'y avait pas de jour dans l'Exodar, ni de nuit à proprement parler : juste les gigantesques cristaux pourpres qui s'embrasaient et se mourraient au rythme du soleil de Draenor. Au rythme d'un monde perdu.

Quand elle ouvrit les yeux, c'était la première fois qu'ils se posaient sur l'Exodar. Pourtant, même si elle ignorait où elle se trouvait, tout lui semblait étrangement familier. Elle prit une profonde inspiration. Le liquide amniotique synthétisé s'engouffra dans ses poumons et elle comprit aussitôt que cela n'était pas naturel. Pourtant, son corps semblait s'y être parfaitement accoutumé et elle se demanda depuis combien de temps elle se trouvait dans la capsule.

"C'est pour bientôt ? repartit la voix.
- C'est imminent, répondit une autre voix à l'accent étrange et parasité. Tu as pris toutes tes dispositions ?
- Le réceptacle tiendra le coup. Même si le vaisseau se coupe en deux, il tiendra le coup.
- Et pour toi ?
- Quel importance ? Je trahis mon peuple. Le moins que je puisse faire est d'y laisser la vie, tu ne crois pas ?"

L'autre ne répondit pas.

Au fur et à mesure que sa vue se faisait plus nette, elle commençait à distinguer un Draeneï, vêtu d'une lourde robe immaculée, qui se déplaçait dans la pièce. Il s'arrêta devant un hublot, contemplant les milliers de points blanc qui trouaient le rideau noir du vide, ne laissant que ses épaules voutées à observer. Elle tourna les yeux pour regarder d'où il venait et un accès de rage la secoua violemment.

A l'autre bout de la pièce, une projection holographique observait le Draeneï. L'être translucide était élancé. De longues oreilles s'échappaient de sa chevelure tombante. Ses yeux en amandes avaient la dureté d'une émeraude. Elle haïssait cet être. Même si elle était incapable de dire ce qu'il était, ni pourquoi elle lui vouait une telle haine.

La projection se tourna vers elle et ils s'observèrent un long moment. Les yeux de l'être semblaient parler. Ils racontaient les turpitudes d'une vie trop longue, la mort, la souffrance. Ils brûlaient d'une conscience trop aigüe pour ne pas voir. Mais par-dessus tout, ils parlaient d'espoir et elle ne comprenait pas pourquoi tout cela lui était adressé.

Puis le monde chavira. L'hologramme se déforma et disparut. Un bruit de cassure assourdissant lui vrilla les tympans et tout devint noir.

---

"Vous êtes vivante, ma sœur !"

Un draeneï à l'air bonhomme était penché sur elle et lui souriait à pleines dents. Elle était allongée sur une fine couche à même le sol. Au-dessus d'elle, ce qui avait sans doute été une vaste alcôve de l'Exodar s'ouvrait par une immense déchirure sur un ciel bleuté. Elle vit passer un animal ailé d'une espèce qu'elle savait ne jamais avoir vu avant.

"Après autant de temps en suspension, c'est un véritable miracle, repartit le Draeneï en prenant le pouls de la jeune femme. Mais je ne me suis pas présenté. Je suis Megelon. Et je pense que je dois vous remercier.
- Me... quoi ? articula-t-elle avec difficulté.
- Mais oui, reprit-il. Si on ne vous avez pas trouvé dans une capsule de vie suspendu, et bien je doute que Proenitus aurait eu l'idée de les utiliser. Vous n'imaginez pas le nombre de nos frères et de nos sœurs qui seraient morts sans ça."

La mine de Megelon s'assombrit.

"Beaucoup trop sont morts de toute façon, fit-il comme pour lui-même. Un peu plus et L'Exodar s'écrasait en pleine mer. Nous aurions tous dû finir noyés à vrai dire."

Il commença à passer un petit appareil de la taille du poing au-dessus d'elle mais ses lèvres se pincèrent rapidement.

"Ce maudit truc fait encore des siennes. Ne bougez pas, je vais en chercher un autre."

Il posa l'engin à côté d'elle et s'éloigna. Elle se redressa pour se mettre en position assise et vit les autres rescapés autour d'elle. Machinalement, elle prit l'objet en main et commença à le démonter. Elle étala les composants sur ses cuisses et les observa intensément. L'appareil était plutôt simple et elle vit rapidement qu'un des deux modulateurs était endommagé. De toute façon, l'engin pouvait très bien fonctionner avec un seul. Elle mit la pièce défectueuse de côté, court-circuita une des entrées d'énergie et remonta le tout.

"Et bien, et bien, fit une voix qu'elle ne connaissait pas. Il semblerait qu'on ait quelques talents."

Le nouvel arrivant avait une mine plus grave que Megelon. Il s'accroupit devant elle, lui prit l'objet des mains et le mit en marche.

"Impressionnant, fit-il, puis, plus bas. Très impressionnant, même."

Il leva les yeux sur elle et sembla la jauger.

"Je me nomme Proenitus, dit-il finalement. C'est moi qui aie la lourde tâche de diriger cette antenne médicale. A qui ai-je l'honneur ?"

Le regard de la jeune draeneï se perdit soudain dans le vide. C'était bien une question qu'elle n'avait pas eu le temps de se poser. Maintenant qu'elle y réfléchissait, elle sentait le sol se dérober sous elle. Ses mains se mirent à trembler et une violente douleur lui tirailla les tympans.

Proenitus lui prit délicatement les mains.

"Doucement, fit-il d'une voix apaisante. Vous êtes restée très longtemps en suspension et le choc quand nous nous sommes écrasés a été extrêmement violent. Cela peut avoir de nombreuses conséquences et vous ne seriez pas la seule à avoir quelques problèmes de mémoire."

Elle le regarda avec intensité et reconnaissance. Elle se força à respirer plus calmement et resta ainsi, ses mains dans celles de Proenitus pendant de longues secondes. Puis son regard se fit soudain malicieux. Elle repensait à l'hologramme, au draeneï dans le vaisseau et elle sourit finalement.

"Je suis... Elle."

---

"Et voilà ! Toute une cargaison de filets de Frôle-Lune... de quoi voir venir, ça c'est certain."

Proenitus leva les yeux de son bureau et observa Megelon qui poussait le tonneau dans un coin à grand peine.

"J'espère que la viande est moins salé que la dernière fois, fit-il. C'est très mauvais pour nos patients.
- Oh, ne t'inquiète pas, répondit Megelon, je l'ai bien précisé à Actéon et il a fait attention cette fois. D'ailleurs, il t'adresse toutes ses excuses."

Il s'inclina sur ses bonnes paroles et se dirigea vers la porte. Mais il s'arrêta au seuil.

"Tu sais qu'Actéon a pris Elle sous son aile... euh si je puis dire ?"

Proenitus se pencha en arrière dans son siège. Son regard se fit trouble mais l'attitude gauche de Megelon lui arracha comme un demi-sourire. Ce dernier s'approcha du bureau à pas choisi, engallairdi par l'apparente bienveillance de son maître.

"Daelo lui enseigne l'ingénierie et toutes ces choses, continua-t-il. Lui aussi est très content d'elle. Je pensais que tu aimerais le savoir."

Proenitus resta silencieux, comme muré en lui-même.

"Elle est très bien cette petite, dit Megelon. Je me demande bien pourquoi... pourquoi tu sembles te méfier d'elle. Voilà c'est dit !"

Megelon restait tétanisé par sa propre audace, visiblement prêt à subir les pires châtiments pour son outrecuidance. Puis il eût un brusque mouvement de recul alors que Proenitus se levait brutalement.

"Suis-moi."

La pièce où Proenitus amena Megelon était sous terre. Le choc du crash avait été particulièrement violent à cette endroit et cette portion de l'Exodar s'était enfiché dans le sol de Brume-Azur comme une flèche dans du bois tendre. Ils descendirent avec une échelle de corde que Proenitus avait apportée avec eux.

Ils allumèrent des torches. L'endroit était un chaos de métal écrasé. Proenitus amena Megelon à travers les poutrelles déformées, jusqu'au seul objet qui semblait avoir résisté sous l'impact.

"Une capsule de suspension, murmura Megelon. Est-ce que c'est ?
- Oui, c'est ici qu'on l'a trouvé. Tu ne remarques rien ?"

Megelon regarda autour de lui, un peu abasourdi.

"Je dis que les Naaru protègent cette enfant. C'est vraiment un miracle qu'elle s'en soit sortie.
- Il n'y a aucun miracle là-dessous, répondit posément Proenitus. Juste quelque chose que nous serions bien incapable de reproduire, mais pas un miracle."

Il fit signe à son assistant de s'assoir et en fit de même. Les torches projetaient des ombres changeantes sur le visage du médecin qui le rendaient encore plus vieux qu'il ne l'était.

"Solide cette capsule, dit-il.
- En adamantite trempée, comme toutes les autres, affirma Megelon.
- Non, répondit Proenitus. Regarde bien sa teinte."

Megelon regarda intensément la surface de la capsule en fronçant des sourcils dans le vain espoir d'y voir plus clair. Ses yeux s'écarquillèrent.

"Tu commences à comprendre, fit Proenitus.
- C'est impossible, bredouilla Megelon, tout simplement inconcevable."

Il approcha sa main de la capsule, hésita, puis caressa le métal anthracite avec révérence.

"Ce que tu as pris pour de la méfiance, poursuivit Proenitus, était du respect. Regarde, juste au-dessus de toi."

Megelon leva les yeux. Le reste d'une voute brisée était comme suspendu au-dessus de sa tête. D'antiques symboles formaient comme une frise. Tous les draeneï connaissaient leur signification. C'était un nom surgi du passé : Oshu'gun.

"Le Premier Vaisseau, dit Megelon religieusement.
- Oui, reprit Proenitus. Nous nous tenons en ce moment même dans les derniers vestiges de l'Oshu'gun, le Premier Vaisseau. Celui-là même avec lequel Velen a fui le monde d'Argus, la Mère Patrie. Il y a plus de 20 000 ans du monde où nous nous trouvons aujourd'hui.
- Je ne comprends pas.
- Moi non plus, pour tout te dire mon ami. Je savais que des parties de l'Oshu'gun avait été utilisé pour ériger le Donjon de la Tempête. Mais ça..."

La main de Proenitus tournoyait en direction de la capsule.

"Ca, reprit-il. Je ne m'y attendais pas.
- Tu connais la légende, dit Megelon. Quand Velen est parti d'Argus, sa garde personnelle est restée en arrière pour protéger son départ... et Kil'jaeden les a décimé de ses propres mains.
- Tous sauf cinq, poursuivit Proenitus. Bravant tous les dangers, Velen repartit secrètement sur Argus, comptant que ses poursuivants ne le penseraient pas assez fou pour cela. Il trouva les cadavres de ses plus fidèles parmi les fidèles. Cinq d'entre eux vivaient... ou plutôt, cinq d'entre eux n'étaient pas encore totalement morts.
- Oui, et il les fit aussitôt mettre en suspension, comptant trouver un remède, comptant arracher leurs âmes des mains de Kil'jaeden lui-même s'il le fallait et les replonger dans leurs corps."

Ils restèrent silencieux quelques instants.

"Mais même les Naaru n'ont pas réussi à les soigner, reprit Megelon. Et Velen érigea une chapelle dans l'Oshu'gun où il fit placer les morts et les non-morts en cercle."

Proenitus secoua la tête.

"J'ai toujours pensé qu'il s'agissait d'une légende, dit-il. D'un conte purement théologique sur le sens du sacrifice et sur le fait qu'on pouvait survivre même dans la mort pour peu qu'on se sacrifie pour quelque chose de plus grand que soi. Et puis..."

Un sourire se dessina sur son visage.

"Et puis, Elle est tombé du ciel."

---

La liaison holographique se coupa. Quelque part dans l'univers, l'Exodar se précipitait vers son destin.

Il remit calmement le pli de sa robe en place et se dirigea d'un pas lent vers la terrasse.

"Je ne peux pas te suivre cette fois-ci, fit la femme à ses côtés. C'est de la folie, un crime.
- Le crime, je n'en suis pas l'auteur, répondit-il les yeux rivés vers l'extérieur.
- Mais c'est tout comme, s'exclama la femme. Tu as laissé faire. Tu aurais pu le dire... prévenir.
- Et à qui donc ?
- Aux Naaru bien sûr !
- Parce que tu crois qu'ils ne sont pas au courant ? Tu es bien naïve."

Il se tourna vers elle et constata à quel point elle était pâle.

"Tu devrais boire quelque chose, lui dit-il. Tu as une mine affreuse."

Elle lui montra le poing, les joues soudainement embrasées. Il sourit.

"Voilà qui est mieux, fit-il en s'adossant au balcon. Non, il n'y avait personne à prévenir. Je me voyais mal annoncer aux Aldors que l'Exodar et leurs compatriotes allaient s'écraser en Azeroth et qu'il ne fallait rien faire.
- Je te déteste.
- Tant mieux. Je n'ai que faire de quelqu'un qui m'approuve.
- Si j'avais su pourquoi, je n'aurais jamais touché à cette maudite capsule, je n'aurais jamais reprogrammé la navigation de l'Exodar et surtout, je t'aurais étranglé de mes propres mains pour que rien de tout cela n'arrive.
- Je te crois, répondit-il. Auquel cas, un autre que toi l'aurait fait et l'Exodar serait en train de se déchirer dans un vortex du néant, comme Kael'thas le désirait. Au lieu de cela, il y aura des survivants et ils viendront à nous en emmenant les héros d'Azeroth avec eux.
- Mais à quel prix, s'indigna-t-elle ?
- Au prix qu'il fallait payer. Tu as beau rôle de t'indigner de la sorte. Ca n'est pas toi qui es monté sur ce vaisseau en connaissant ton destin et en l'acceptant.
- Un fanatique.
- Ne le sommes-nous pas tous ?"

Elle commença à faire les cent pas dans la pièce.

"Ta haine pour Kael'thas t'aveugle, scanda-t-elle. Tu ferais tout et surtout n'importe quoi pour qu'ils disparaissent, lui et son maître.
- Illidan...
- Ne prononce pas ce nom !"

Il lui saisit violemment les épaules.

"Illidan, clama-t-il les yeux fous, n'est rien qu'une étape. Il tombera parce qu'il en est ainsi, je l'ai vu. Ca n'est pas là que se trouve le plus grand des périls. Un hiver sombre va s'abattre bientôt, je le sens. Cet être dans cette capsule est la pierre angulaire d'une succession d'événement qui va nous permettre à tous d'y survivre. Avec elle, vient la survie, la réunion des forces d'Azeroth et de l'Outreterre, la fin des querelles."

Elle se détache de son étreinte d'un geste rageur.

"Ca n'est pas un dieu, cria-t-elle, juste une petite draeneï endormis depuis des millénaires ! Tu délires !
- Tu ne comprends décidemment rien, fit-il d'une voix plus posée. Ca n'est pas elle qui va faire tout ça. Elle ne fait qu'ouvrir le champ des possibles. Il faut et il suffit qu'elle soit là, maintenant."

La femme le regarda, incrédule. Elle fit volte-face et sortit de la pièce.

L'elfe de sang, lui, se retourna vers l'extérieur, le visage triste. Qu'elle le déteste, cela occuperait son esprit. De la sorte, elle n'aurait plus à penser à la souffrance que leurs actions allaient engendrer comme en étant l'auteur. La culpabilité lui incomberait à lui et à lui seul.

Il laissa son regard se promener sur la terrasse des Clairvoyants à ses pieds. Le soleil se couchait sur Shattrah, allongeant les ombres des marchands qui fermaient leurs boutiques. Au loin, là-haut, sur la terrasse de l'Aldor, d'autres marchands devaient faire la même chose.

Il sentit quelque chose rouler sur sa joue et essuya la larme d'un revers de la main. Il se demanda si les siens se doutaient des vrais raisons qui lui avaient fait choisir le nom de Clairvoyant. Et s'ils en auraient pris la pleine mesure.

Bon, ben j'ai fait du léger encore moi

Très joli texte, bravo !

Bravo ^^ tres jolie oui ^^